L'expatriation : rapport à la mère ?

24/08/2015 23:11

Depuis de nombreuses années, je m'occupe de prises en charge pour des patients expatriés.

Au-delà des réponses de surface, le pourquoi de l'expatriation interroge.

En surface, les personnes invoquent un rejet du pays dit "mère patrie", et un attrait pour tel ou tel autre pays.

Le rejet concernant la France parle de questions fiscales, de culture étriquée, d'absence de créatrion entrepreneuriale etc.

Et, plus récemment, le contexte politique.

 

Mais, au terme d'environ dix ans de thérapies de patients expatriés, certains demandant une thérapie alors qu'ils sont déjà expatriés, d'autres s'expatriant après avoir débuté leur thérapie, je pense que l'expatriation pose surtout le rapport psychique à la mère.

La mère, c'est "la mère patrie", et c'est aussi "la langue maternelle".

Qu'est-ce que cela implique psychiquement, de désirer sortir de la "mère patrie", puis de "la langue maternelle"?

C'est ainsi qu'ont lieu des "demies-expatriations", par exemple pour les français, le Québec, où l'on peut varier la langue maternelle (avec les accents, les expressions etc.) sans s'en abstraire.

 

Et puis, l'expatriation pose la question des racines. 

Pour certains, s'expatrier consiste à retrouver des racines ailleurs (origines etc.). 

Pour d'autres, cela parle de couper ses racines pour en refonder de nouvelles.

Donc l'expatriation a toujours a voir avec une forme de déracinement. Ex-patrie, ou la patrie pour "ex". Avant, les entreprises peuvent proposer le "contrat de détachement", qui permet de se "détacher" de l'attachement à la mère-patrie.

 

En définitive, les thérapies d'expatriés renvoient toujours, à un moment donné, à la question de la mère. 

Quelle matrice et quelle protection dans la matrice initiale ? Mères violentées, mères absentes, mères abusives aussi...

Et surtout, cette question de la matrice renvoie à une autre : celle de l'enclave. 

Comment exister en-dehors de sa mère, et en-dehors de la dépendance archaïque à sa mère ? 

Comment sortir de cette matrice initiale pour devenir plus autonome psychiquement ?

Comment exister hors de la langue maternelle, qui nomme, enveloppe, dit à la place du nourrisson ce qu'il est ?

Comment conquérir cette autonomie psychique et s'approprier une autre langue dans laquelle l'on pourra nommer le monde autrement que ce que la mère faisait ? 

Je renvoie à ce sujet aux travaux de la psychanalyste Piera Aulagnier sur la violence de l'interprétation, et à ceux de la psychanalyste Tamara Landau sur l'enclave.

 

"Ubi bene, Ubi patria", disaient les Romains. 

Là où l'on se sent bien, est la patrie. 

Parfois, sortir de la "mère-patrie", pour un temps, plusieurs années, ou toujours, est la seule façon de parvenir à exister pleinement, à sortir de l'enclave. C'est ainsi que l'on entend souvent que l'on ramène avec soi ses problématiques psychiques, où que l'on soit.

Oui et non.

La question de la distance, de l'arrachement, de l'exil, de l'expatriation démontre précisément que sortir de la terre natale, de l'enclave maternelle à la mère-patrie permet de travailler des dimensions qui n'auraient pu l'être en restant dans la matrice d'origine, et agit non seulement comme révélateur mais aussi libération de problématiques antérieurement enkystées. 

En s'expatriant, le sujet se crée une nouvelle naissance.